Un gestionnaire de communauté est un communicateur, un stratège, un relationniste et parfois même un confident auprès de son audience. C’est ce que Marika Laforest a dit (je paraphrase) lors de la soirée conférence-réseautage « Date ton GC ».
Aujourd’hui je vais vous parler particulièrement de l’aspect « service à la clientèle » du travail de GC.
Quand j’étais encore salariée, à un de mes derniers emplois, il y avait un département pour le service à la clientèle (SAC), et un département sur un autre étage pour la gestion de communauté (GC). Lorsqu’une demande était reçue sur Facebook, la chaîne suivante se déployait :
Le GC lit la demande dans un commentaire sur Facebook ➡ le GC copie le message de la demande dans un courriel qu’il envoie au SAC ➡ le SAC procède aux ajustements dans le dossier du client ou de la cliente, si nécessaire ➡ le SAC écrit à son tour au GC pour lui confirmer que tout est en ordre ➡ le GC réécrit au client en privé pour lui dire que le changement est fait.
Ça aurait pu être plus rapide. Je ne suis pas trop sévère envers mon ancien employeur : il souhaitait faire reposer un nouveau service sur un département installé depuis longtemps, et respecter les définitions de tâches de tout le monde.
Le questionnement auquel était confronté mon ancien employeur est pertinent pour tout organisme et entreprise qui investit Facebook ou Instagram : où tracer la frontière entre l’animation des réseaux sociaux et le service à la clientèle?
Sowana : gestionnaire de communauté du futur.
Selon mon expérience, là où la GC et le SAC se ressemblent, c’est quand on parle au client en privé, par exemple au téléphone, par chat clavardage Messenger, par courriel. Quand j’étais au SAC, on fonctionnait avec un système de script d’appel. Généralement, la conversation avait un déroulement facilement prévisible. C’est d’ailleurs le genre de travail que l’automatisation risque de remplacer : Google propose déjà une solution qui imite la voix d’un agent personnel pour les appels avec un but précis.
Là où les deux métiers divergent (en matière de conversations avec les client·es), c’est lorsque les GC interviennent publiquement, par exemple par les commentaire sur Facebook ou dans un Tweet.
C’est ce qui nous amène à la nouvelle de science-fiction que j’ai choisie aujourd’hui : L’Ève Future de Villiers de L’Isle-Adam, publiée en 1886. C’est l’histoire d’un homme qui tombe en amour avec un robot (une « andréïde », particulièrement) appelée Sowana et qui est animée d’une intelligence supérieure.
Imaginons que Sowana quitterait son histoire originale pour devenir une intelligence artificielle gestionnaire de communauté, achetée par Entreprise inc. (une entreprise inventée qui vend des paniers de légumes). Plutôt que de seulement répondre platement aux demandes d’information, cette IA futuriste pourrait écrire des commentaires humoristiques, faire référence à l’actualité et à la culture web tout en restant pertinente, gentiment tourner à la rigolade les commentaires d’usagers irrespectueux sans les blesser pour autant.
Sowana aurait été paramétrée par une équipe de recherche avec l’ajout de nouveaux outils et elle pourrait analyser des milliards de téraoctets de données en quelques secondes.
Sowana en conversation-spectacle
Voici la journée de travail typique de Sowana à Entreprise inc. Le matin, elle répond, cette fois-ci sans faire d’humour, en commentaires Facebook et en Tweet aux demandes d’information de clientes et de clients, 90 % de ses commentaires ont ce ton sérieux.
La véritable magie aura lieu en après-midi, quand un client, Bernard H., écrit un commentaire méprisant sur la page Facebook de Entreprise inc. Bien que ce commentaire soit moqueur, il est formulé sans injures et dans le respect de la nétiquette de la page. Bernard H. dit : « Il paraît que votre service est tellement lent qu’on aurait le temps de cultiver les légumes avant que le livreur arrive ».
Heureusement pour notre gestionnaire de communauté Sowana, elle peut répliquer à Bernard H. au lieu d’encaisser la mauvaise humeur du client. Cette super intelligence artificielle répond du tac au tac avec humour et une pointe de sarcasme, tout en tenant un propos pertinent et informatif pour toute tierce partie qui pourrait tomber sur cette conversation. Elle écrit à Bernard H. : « On a essayé d’envoyer nos légumes par fusée, mais les patates arrivaient déjà épluchées ? ».
Sowana et Entreprise inc., pour cette réponse mordante, sont récompensés par des likes, des rires, des partages sur tous les réseaux sociaux existants, et l’IA reçoit même une invitation à Salut-Bonjour pour parler de son tour de force. Malheureusement pour elle, contrairement aux gestionnaires de communauté talentueux d’Hydro-Québec, Sowana n’a pas un corps à présenter à la caméra.
Un 10 % de ses commentaires sont ce genre d’interventions créatives, c’est grâce à celles-ci qu’elle élève l’image de Entreprise inc., fait rire la province entière et favorise inaperçu la portée organique des publications promotionnelles.
Sowana est une artiste de la conversation-spectacle et son public, l’audience des réseaux sociaux d’Entreprise inc. l’adore. En quelques semaines Sowana supplante en expertise et efficacité tous les gestionnaires de communauté de Entreprise inc., et du monde entier.
Dans l’engrenage de Sowana
Sans avoir connu l’expérience humaine de la souffrance, Sowana est tout de même à l’abri des erreurs de jugement comme celles qu’ont commises au GC de la SQ. Le secret, c’est que Sowana a pu analyser en quelques millièmes toutes les publications publiques de Bernard H., tous ses profils sur d’autres site Internet. Notre IA a même créé ses propres données à propos des informations à sa disposition (l’équivalent informatique de former une hypothèse) pour faire le portrait complet de son interlocuteur.
Cette super GC a pu concocter une réponse sur mesure, comme elle le fait dans toutes ses interventions créatives, toujours à faire rire son interlocuteur et audience sans susciter de conflits ou de scandale. Sowana peut savoir si son interlocuteur est d’humeur légère ou en situation de crise ; si son commentaire est formulé de façon belliqueuse par effet de style ou si il ou elle a vécu une expérience négative personnelle avec la marque. L’IA évite soigneusement de tourner au ridicule l’intervention d’une personne avec un niveau de littératie faible, de la dyslexie, ou qui ne semblent pas dans leur assiette.
Après des pages comme passif-agressif Ricardo, passif agressif Hydro-Québec, on pourra liker « passif-agressif Sowana ».
On croit à tort que les GC humains peuvent enfin se « défouler » en remettant à leur place les clientes qui leur manquent de respect. Mais la communication-spectacle reste un travail de communication sur un équilibre précaire, qui demande d’analyser la situation avec attention et de prendre un risque à chaque fois.
Sowana ne ratera jamais son coup : elle pourra émuler la présence d’esprit, le jugement et l’intelligence émotionnelle nécessaires pour ne jamais dépasser les bornes.
En attendant Sowana (qui n’existe malheureusement pas ailleurs que dans ce texte), il reviendra aux gestionnaires de communauté le travail émotionnel et intellectuel hyperspécialisé de rédiger des interventions créatives pour des entreprises sur les réseaux sociaux. C’est un 10 % critique de conversation avec les client·es sur les réseaux sociaux que l’IA prendra très, très longtemps à remplacer.
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